À la fin du XIe siècle est née, au coeur du massif de Chartreuse, une des expériences spirituelles les plus originales et les plus durables. En effet, sur les conseils de l’évêque Hugues de Grenoble, Bruno et six compagnons fondent, en ce lieu, un ermitage. Ils élaborent un style de vie original dont la garde de la cellule est l’élément fondamental. La prière, la lecture, la méditation guident le moine vers la contemplation, mais pour délasser un esprit fatigué par l’application aux choses spirituelles, un temps est prévu pour l’occupation manuelle. La copie des manuscrits s’impose très vite comme la tâche la plus conciliable avec l’isolement : chacun s’adonne à cette activité durant les heures fixées par l’observance, prêchant ainsi par les mains ce qu’il ne peut faire par la bouche.
Durant la période révolutionnaire, la bibliothèque municipale de Grenoble a recueilli le fonds de la bibliothèque de la Grande Chartreuse : un patrimoine considérable de deux cent cinquante manuscrits sur parchemin, dont plus de la moitié datable du XIIe siècle. Ces vestiges, parmi lesquels on découvre des chefs-d’oeuvre de l’enluminure médiévale, sont pour l’histoire de véritables trésors archéologiques.
Comme seuls témoins de l’activité des solitaires, ces livres ont été interrogés bien que, paradoxalement, ils soient dépourvus de noms, faits et dates et ne dévoilent souvent, au prix d’une investigation fouillée, que des suggestions ou des réponses très nuancées. Cependant, redécouvrir les copistes par l’observation de leur propre travail, redonner à la Grande Chartreuse sa part de production dans le fonds subsistant de la bibliothèque, étudier l’évolution des techniques et des styles dans la fabrication des manuscrits… autant d’objectifs assignés à cette enquête qui s’est vite imposée comme indispensable à toute recherche approfondie sur l’histoire de la production médiévale du livre mais aussi sur l’histoire des premiers chartreux.
Texte remanié de : Thèse de doctorat d’Histoire, Univ. Grenoble 2, 2000
St. Etienne, Publication de l’université de St Etienne, 2004
Année : 2004